Racontez-nous l'origine de Carel.
Frédérique : Carel est née en 1952, juste après la guerre. La famille Carel était réfugiée. Georges Carel a rencontré sa future femme, Rosa, dans les rues de Paris. Tous les deux venaient déjà plus ou moins du monde de la mode : le père de Georges était cordonnier à Oran en Algérie, et la mère de Rosa venait d’Europe de l’Est. Ils sont tombés amoureux et ont décidé de monter une marque de souliers, avec leur nom, Carel. Dès le départ, le signe distinctif était le petit talon qu’on appelle “le trotteur”. C’est un talon de quelques centimètres de hauteur, cubain, de forme carrée, ce qui le rend stable et permet aux femmes de courir partout sans se fatiguer ou tomber. Ils voulaient aussi des modèles très gais, parce qu’après-guerre tout était triste, décliné en gris ou en noir. Eux voulaient faire quelque chose de très différent et de souple, usuel et confortable, pour accompagner le développement des femmes dans la société. A cette époque, les femmes se sont beaucoup émancipées, elles ont d’ailleurs le droit de vote depuis 1944. Il y avait le besoin d’un soulier élégant et sexy tout en étant utilitaire et confortable. Ce besoin est d’ailleurs encore très actuel, c’est entre autres ce qui explique que Carel a traversé le temps.
Quel a été le déclic pour lancer la marque à l’époque ?
Frédérique : Georges et Rosa ont installé l’une de leur première boutique aux pieds de la Sorbonne. Ça a marqué le but du succès. Une petite boutique très colorée et gaie, toutes les jeunes étudiantes et leurs professeurs ont accouru. Carel est encore aujourd’hui très empreint de cet univers littéraire et universitaire. On offre d’ailleurs un livre de poche pour tout achat d’une paire de Carel. Carel s’engage aussi pour la jeunesse en soutenant les étudiants de l’IFM, l’institut français de la mode, en leur prêtant des souliers Carel pour leurs défilés. De plus, chaque saison nous soutenons la jeune création parisienne en invitant un artiste à réinventer la vitrine de notre flagship et cela donne même parfois lieu à une collaboration avec le développement d’une collection capsule sur nos sacs ou nos chaussures.
Frédérique : J’ai effectivement racheté Carel il y a 13 ans, directement à la famille. Ils ne voulaient pas qu’un concurrent reprenne, ils souhaitaient quelqu'un de différent avec des idées nouvelles. Moi je venais de chez L'Oréal, je ne connaissais rien à la chaussure mais je me souvenais de la boutique Carel que je voyais petite fille à Grenoble et qui m’avait beaucoup marquée. J’avais le souvenir d'une très jolie marque patrimoniale, bien faite avec des produits de qualité. L’idée m’a tout de suite plu. J’ai vraiment appris le métier sur le tas avec Michèle Carel, et aujourd'hui Emilie, la petite-fille de Georges qui travaille encore au sein de l’équipe. Je pense qu’ils m’ont choisie parce qu’ils ont aimé mon projet pour la marque. La maison était vieillissante quand je l’ai reprise, moi j’ai voulu remettre la création au centre du débat. Je savais qu’il existait dans les archives des trésors à réveiller. Tony, le fils de Georges le plus créatif, avait travaillé avec tous les plus grands couturiers de l’époque: Jean-Paul Gaultier, Karl Lagerfeld, Jean-Charles de Castelbajac, Thierry Mugler etc. Ils faisaient les chaussures de leurs défilés. Donc dans les archives de la marque il y avait des mines d’or ! Donc quand j’ai repris la marque, on a beaucoup travaillé, vraiment beaucoup, mais on avait toutes les bonnes bases pour y arriver: une belle marque établie avec une belle histoire et des produits bien faits chez des fournisseurs historiques en Italie. Il ne manquait qu’une énergie nouvelle et du sang neuf.